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02 2013

Je vis comme ces animaux, les chiroptères … seulement pendant la nuit

Entretien avec Simo mené par Birgit Mennel

Simo Kader

Simo a 28 ans et vit depuis à peu près 10 ans en Europe où il a en vain essayé de ce légaliser dans des états nationaux comme l’Italie, la Suisse et l’Autriche. Simo parle Darija, Arabe, Italien et Français. L’entretien à été enregistré en Français et édité pour la publication


Est-ce que tu peux me d’abord raconter pourquoi tu voulais quitter le Maroc et comment s’est passé ton départ ?

Au Maroc, je jouais au football et quand notre équipe a été invitée pour un match en France, c’était une belle occasion pour moi. Car je n’habitais pas dans une de ces villes marocaines qui se trouvent à côté de l’Espagne. Si on prend Tanger, par exemple, cette ville est à 7 km de l’Espagne, et pour les gens qui vivent à Tanger c’est donc plus un peu plus facile de quitter le pays. Mais pour moi, c’était un peu plus difficile parce que j’habitais dans une ville à 50 km de Casablanca. Et quand j’ai su que je voulais quitter le pays, je savais que j’avais besoin de pas mal d’argent pour ce voyage. Alors, c’est bien tombé avec ce match à Bordeaux, c’est pour ça que je disais que c’était une belle occasion. Je suis venu directement en France, et puis j’ai voyagé en Italie.


Mais ta décision de partir n’est pas tombée du ciel, n’est-ce pas ?

Mais non ! Je voulais depuis longtemps quitter le pays. Au Maroc, je ne voyais pas de futur pour moi. Je jouais au foot, je travaillais par fois, mais je ne voyais pas de futur. La plupart de temps je ne faisais rien, je n’avais rien à faire. Et même tu travailles là-bas, par exemple quand tu joues au foot, tu vis seulement au jour le jour. Tu penses seulement à aujourd’hui et à demain, mais tu ne peux pas penser ou même voir un futur, parce qu’au Maroc, en Afrique – ça n’existe pas le futur. Tu vis au jour le jour, et tu ne gagnes pas plus que pour t’acheter des cigarettes et á manger. Alors, j’ai parlé avec ma famille, et je leur racontais que je voulais quitter le pays. Ils m’ont répondu que je ne connaissais pas la France ; et puis ils m’ont dit bonne chance, et que c’était ma vie et que je n’étais plus un garçon.

Alors quand je suis venu (arrivé en Europe), je ne m’imaginais pas de vivre cette vie que je vis maintenant. Je pensais de continuer de faire du sport. Je voulais toujours jouer au football, c’était ça mon idée, toujours le football. Mais je n’ai pas trouvé la chance – à cause des papiers. J’imaginais de trouver une équipe pour jouer au foot. En 2010, par exemple, j’ai joué avec une équipe de Salzburg, parce que cette équipe m’a accepté même avec la carte blanche. Mais je pouvais seulement participer dans les entrainements, pas dans les matchs réguliers. Alors comme je n’avais pas des documents, je n’ai pouvais pas continuer à jouer pour cette équipe. Parce que j’avais seulement la carte blanche , la carte d’asile. Tu vois maintenant : Cette carte ne vaut rien, tu es un rien avec cette carte.


Quel âge avais-tu quand tu es parti ?

Je ne me souviens pas, peut-être 20 ans ou 21 ans.


Et tu n’as pas parlé avec tes amis au Maroc de ton envie de partir ?

Non, avec personne.


Alors, tu n’as pas connu d’autres personnes qui voulaient partir ?

Mais oui. Beaucoup de mes amis voulaient partir vers l’Europe.


Et pourquoi l’Europe ? Qu’est-ce que vous vous attendiez de l’Europe ?

L’Europe, c’est tout simplement parce que l’Europe se trouve à côté du Maroc.


Sinon, ça aurait pu aussi être le Canada, par exemple ?

Le Canada, c’est une autre chose, parce que c’est loin et le voyage coute très cher. Et en plus, je ne connais pas la mentalité dans ce pays ; moi, je comprends la mentalité des Européens. Je ne sais pas, je ne voulais pas prendre le risque de vivre avec les Canadiens ou les Américains. J’ai un frère au Canada qui ne peut pas facilement retourner au Maroc, parce qu’il a un crédit à la banque et il ne trouve pas les moyens pour le rembourser. C’est aussi une des possibilités pour partir au Canada ou en Amérique… Il n’y a pas de futur au Maroc, et aux États-Unis ou au Canada ou même en Europe tu vois des gens qui sont riches, qui vivent une vie tranquille. Et pour nous, il n’y en a rien de tout ça. Alors, tu commences à penser de partir ailleurs pour aussi vivre une belle vie. Et moi, je suis allé en Europe parce que, comme Marocain, je connais la mentalité européenne.


Qu’est-ce que tu as fait avant de demander l’asile en Autriche ? Tu m’as raconté que tu n’étais venu en Autriche qu’en 2010, après des années que tu avais déjà passées en Europe. Qu’est-ce que tu as fait dans ces années ?

Quand j’étais en Italie, j’avais un appartement, j’avais du travail. L’Italie, c’est l’Italie. Mais tu vois, le travail que je faisais là-bas, par exemple à Milano … est-ce que tu connais Milano ? Je demande parce que, là-bas, il n’y a pas que des gens qui travaillent au noir, il y en a beaucoup qui travaillent surtout avec … haschisch, cocaïne, bref toutes les drogues. Très souvent, c’est ça le seul genre de travail que l’on peut trouver en Italie si on est sans-papiers.

J’ai commencé avec ce travail, parce que j’ai connu aucune personne, qui pourrait m’offrir un travail régulier ; j’étais d’abord dans d’autres villes en Italie pour trouver un travail régulier en Italie, mais je n’ai pas eu la chance, c’était toujours le problème d’être sans-papiers. Donc, comme je n’ai pas de famille en Italie ou en Europe et j’étais obligé de faire ce travail pour trouver le moyens de louer une maison pour dormir et pour avoir au moins un peu d’argent. Faire ce travail c’est facile et au même temps très dangereux : c’est facile de trouver les matériaux pour faire ce travail, parce que la majorité des Nord-Africains que j’ai rencontré à Milano le font ; et quand tu vends à la grande c’est bien si tu trouves des autres qui vendent ces matériaux pour toi dans la rue, c’est la première chose que tu fais – vendre dans la rue, même si c’est au même temps le travail le plus dangereux.

Ici en Autriche, par contre, en tant que sans-papiers, je ne peux pas du tout travailler, je ne peux pas avoir un travail régulier ou même au noir. Sans papiers tu ne peux rien faire. C’est pour ça que j’ai besoin d’oublier, parce que sans travail, sans rien du tout, tu fais des choses pour faire passer le temps parce qu’il ne faut surtout pas penser le moment. Je ne veux plus constamment penser à mes problèmes.


Économiquement, tu finis alors par te trouver ici plus ou moins dans la même situation qu’au Maroc – sauf que tu ne vis plus avec ta famille et que tu rencontres toujours des problèmes avec la police ?

Regarde, si tu veux gagner 100 euros au Maroc, tu dois travailler vraiment beaucoup et tu dois être prêt à faire vraiment toutes les choses. Ici, en Europe par contre pour faire 100 euros, c’est facile – tu prends le risque et ou tu gagne l’argent ou tu te trouves en prison. Il n’y a personne qui te donne 100 euro juste comme ça. Tu dois faire ce travail si tu veux gagner 100 euro, 1000 euro ou 10.000 euro, ça dépend seulement des clients. Il faut seulement savoir quels jours on travail, parce que la police n’est pas toujours présent. Et c’est ça qu’il faut comprendre. Avec toute l’éxpérience que j’ais, parce que je suis déjà tombé plusieurs fois, comme à Milano par exemple, où j’ai vendu la drogue dans une place où on peut gagner beaucoup d’argent, mais en même temps il y a aussi beaucoup de risques.


Est-ce que tu as essayé de te faire régulariser quand tu étais en Italie ?

Oui, je cherchais quelqu’une pour me marier, mais pas de demander l’asile, parce qu’en Italie, personne ne demande l’asile. Les Italiens ne donnent pas l’asile aux Marocains, aux Nord-Africains, et tu restes dans la rue. J’étais huit ans en Italie, et j’ai vécu la souffrance surtout en Italie. J’étais en prison là-bas, la première fois pour un an et cinq mois, après pour huit mois – et après, ça a continué comme ça. J’étais en prison à cause de ce travail que j’avais commencé à faire. La première fois en prison c’était difficile, parce que en Maroc je n’étais jamais en prison. Je n’savais pas comment la prison fonctionne. Mais la deuxième fois j’avais l’expérience et je savais quoi faire et comment éviter les problèmes avec les gens qui se trouvent aussi au prison ; les gens qui ont violé des femmes, qui ont tué … il y a toutes les nations dans les prisons, alors il faut savoir comment se comporter avec tous les mondes. Et il faut aussi savoir comment se comporter avec les gardiens, qui sont majoritairement très racistes – surtout contre les nord-africains : parce que nous sommes connus pour la vente des drogues, ça passe tous les jours dans les journaux, et en plus nous sommes des musulmans ….

Maintenant, je ne m’occupe plus des documents, des papiers, et je ne pense pas à l’argent. Parce que j’en ai marre et je suis très fatigué. Je ne veux rien du tout. Si tu vois les messages de ma mère et de mon père, je ne sais pas … ils ont grandi et moi aussi. L’expérience que j’ai faite ici, en Europe, m’a complètement changé. Au Maroc, j’étais une autre personne, j’avais des amis, une famille. Maintenant, je vis seul, je n’ai pas de famille. Je ne connais personne.

Tu vois ce que je veux dire ? Toi, si tu t’imagines de partir au Maroc sans argent, sans documents, sans papiers, sans rien y connaître, sans connaître la langue. Qu’est-ce que tu vas faire là-bas ? À cent pour cent, tu ferras quelque chose, je ne sais pas quoi exactement, mais tu commenceras, par exemple, à voler ou à faire le business pour manger, pour fumer, ou seulement pour vivre.

Ce que j’ai vécu en Italie, c’est surtout le racisme. Parce que les Nord-Africains en Italie, ils font seulement le business, c’est clair. Donc, à cause de ça, les Italiens sont contre les Nord-Africains, peut-être pas 100%, mais au moins 50%. Ça se remarque dans les gestes, les gestes des personnes que tu rencontres. Moi, comme Marocain, je ne pouvais pas, par exemple, entrer dans certaines discothèques. Au début, je n’ai pas bien compris pourquoi, je n’ai pas bien compris ce qu’était le problème. J’avais tout ce qu’il faut, mais je ne pouvais pas entrer à un disco.


N’as-tu jamais pensé à retourner au Maroc vu que tu n’as pas vraiment des perspectives de te régulariser ici en Europe ?

Qu’est-ce que je ferais moi là-bas ? Regarde, je vais encore une fois te parler de la mentalité. Pour moi, retourner au Maroc maintenant, c’est difficile, et cela surtout à cause de la mentalité marocaine. Au Maroc, les gens n’ont pas une image très claire de l’Europe, de la souffrance et des choses criminelles. Ils pensent encore que l’Europe c’est le paradis. Alors retourner sans riens, pour moi, c’est vraiment difficile. Au Maroc, tu habites chez ta famille et quand tu te réveilles, ta maman ou ton père te donne de l’argent pour acheter des cigarettes, pour que tu puisses t’acheter ce que tu voudrais.

Les gens n’ont pas une idée claire de l’Europe, ils disent n’importe quoi. Ils pensent qu’en Europe tout est possible. Par contre, après dix ans en Europe cette perspective change. Et quand tu retournes de l’Europe, ils disent « Regardez cette personne, il était dix ans en Europe. Où sont ses papiers, où est sa voiture ? » C’est ça, la mentalité marocaine : les gens voient des voitures de luxe et ils veulent la même, ou encore plus …Pour te dire la vérité je n’ai vois pas le futur pour moi en Maroc. Par contre ici en Europe pour moi tout reste possible, parce que je suis encore jeune.


Est-ce que ta famille a besoin de toi ?

C’est normal qu’on donne du soutien à sa famille. Mais en ce moment, ici en Autriche, je ne peux pas aider ma famille. Je l’avais fait quand j’étais en Italie et en Suisse, oui, parce que je pouvais quand même gagner un peu d’argent en prenant beaucoup de risques. Ma famille pense que moi, j’ai une vie ici. Quand je parle avec ma famille, personne ne me comprend.

Mais, en ce moment, ma vie est très compliquée, parce que j’ai fait ma première demande d’asile en Autriche. Alors, si je voulais partir dans un autre pays, parce que je ne vois pas de futur ici en Autriche, c’est 100% sûr que je serais expulsé vers l’Autriche parce que c’est le premier pays européen où ils ont enregistré mes empreints . Ce n’est pas bon pour moi. Si, par exemple, je partais au Danemark, je resterais là-bas seulement trois ou quatre mois, et puis ils m’envoient encore vers l’Autriche.


Après tout ce que tu as vécu ici, qu’est-ce que tu attends encore de l’Europe ?

Pour l’instant, je désire voir ma famille, seulement ça. Je ne veux rien pour moi. Je me sens mort et vivant en même temps. Ce qui compte pour moi, c’est seulement ma mère, mon père et mes frères et sœurs. Pour moi, je ne veux rien. Mais en même temps, je sais que je ne peux pas retourner au pays. J’ai 28 ans, alors maintenant je ne peux plus vivre avec mon père et ma mère. Je ne veux plus prendre leur argent pour acheter des cigarettes. Je voudrais une maison et une vie décente, je voudrais faire toutes les choses que j’aime.


Et qu’est-ce que tu aimes ?

J’aime vivre tranquillement. Mais ici en Europe, je dois encore la chercher, cette vie belle et tranquille. Pour le moment, je vis comme ces animaux, les chiroptères. Les animaux qui vivent seulement pendant la nuit. Toujours, quand je vois la police, je dois inventer des ruses pour ne pas devoir parler avec eux, pour éviter les contrôles. Sinon, je vais me trouver à la « Schubhaft  », au centre de rétention, à la prison. Ou bien, je dois encore changer le pays. Mais en ce moment, je ne pense qu’à l’Autriche. Je ne sais pas ce qui vient après. Pour l’instant, je suis en situation plus ou moins « régulière » ici en Autriche[1], et après, je ne sais pas. S’il y a des problèmes, je vais quitter le pays.

Ma situation peut être décrite de la manière suivante : je vis une vie de merde, mes excuses pour cette parole, mais pour le moment c’est vraiment une vie de merde. Actuellement, je suis « régulier » en Autriche, ok. Mais je vis dans la rue, je dors à l’église, et je n’en sais rien en ce qui concerne le futur.


Comment es-tu tombé sur le camp de protestation des réfugiés ici à Vienne ?

Un ami, avec qui je vivais dans cet Heim (ce foyer) à Vienne, m’a dit qu’il y a des gens qui aident d'autres personnes. Il ne m’a pas parlé des choses politiques, il m’a parlé surtout de l’espace. Moi, je n’aime pas la politique, je suis une personne normale. Mais il m’a raconté qu’il y a des gens qui parlent allemand et qui peuvent t’aider dans le quotidien. Et c’est important pour moi, puisque que j’ai déjà des problèmes pour acheter un paquet de cigarettes parce que je ne parle pas la langue, je me débrouille avec les gestes.


Est-ce que tu dirais que cet espace du camp et le mouvement autour de l’église ont changé quelque chose pour toi ?

Oui, ça a changé beaucoup. Tu sais où dormir et où trouver des gens qui peuvent t’aider, si tu as besoin d’une douche, par exemple. C’est une belle chose. C’est toujours mieux de pouvoir choisir l’endroit où on veut rester. Enfin, moi, je vis comme ça. Et si je vis dans la rue, c’est aussi parce que je préfère cette vie de merde à l’autre vie de merde dans une maison pour les demandeurs d’asile.

 



[1] En 2012 Simo a présenté une nouvelle demande d’asile, après que la décision pour la première était négative. Entre temps il peut toujours être pris en détention aux fins de refoulement et expulsé vers le Maroc.